J'ai pas le temps

En parlant d'assumer, l'autre chose que les gens normaux n'assument pas, c'est leur égoïsme. On est tous égoïstes. Manger est un acte égoïste : aussi longtemps qu'il y a des gens qui crèvent de faim, eh bien si vous bouffez avant de vous en occuper c'est que vous pensez d'abord à vous, avant de penser (éventuellement) aux autres. Et bien sûr dans un sens économique toute action, aussi altruiste soit elle, est motivée par un but égoïste (qu'il soit biologique-chimique, religieux ou social).

Or donc, quid de l'excuse habituelle « j'ai pas le temps » ? Nous avons tous 24h par jour, et il faudrait assumer que c'est nous mêmes qui décidons ce qu'on en fait. On a toujours le temps de faire ce qu'on veut. Mais dire « je préfère faire quelque chose qui m'amuse plus que quelque chose qui m'amuse moins », ce serait mal vu. Là encore, blame the church : regardez la liste des péchés capitaux, et vous trouverez autant de saines actions égoïstes : la paresse (inventer la roue, quoi de plus paresseux), l'orgueil (avoir honte de vivre et de ce qu'on est c'est glop), la luxure, l'avarice, et bien sûr la gourmandise. (Et bien sûr les nouveaux péchés peuvent tout autant être traduits par vivre et tenter de maximiser son utilité.)

Pas étonnant dès lors qu'on en soit au point où il vaille mieux mentir ou en tout cas s'inventer d'improbables ou vagues excuses que d'assumer la vraie raison de nos choix.

Ainsi, comparons ces différentes excuses :

• « je peux pas venir, j'ai prévu d'aller aux putes là »
• « je peux pas venir, je dois bosser là, j'ai besoin de blé pour avoir de quoi aller aux putes »
• « je peux pas venir, je dois bosser là »

De ces trois excuses, seule la 3e est acceptable pour les gens normaux. Pourquoi ? Si nous travaillons, c'est pour avoir du blé, parce que le blé nous sert à acheter des trucs qui vont accroître notre utilité. Accroître notre utilité indirectement serait-il donc plus honorable que de l'accroître directement ?

La vraie raison est bien sûr que cette conception du travail n'est pas assumée, et que le travail est plutôt vu comme un devoir, une obligation. La réponse « je préfère faire quelque chose qui m'amuse plus que quelque chose qui m'amuse moins » devient ainsi « je préfère faire quelque chose qui m'amuse moins que quelque chose qui m'amuse plus », bien plus acceptable socialement.

2008-10-02